l'ermite

Le Saturnien

Très chère mélancolie et sobre ennui !
Où aurais-je pu trouver ma vitalité
Si je n’avais pas reconnu en vous
Un numineux recours contre la futilité ?

Cette charnière vie humaine
Où la charité s’est jointe à la chair (1)
Ne permet pas de fuir la vanité
Du sens auquel mes désirs s’attendaient.

Je me préférai proscrit des saluts mielleux
Et traîner ma sombriété (2) incrédule
Sur les boulevards des assurances puériles
Contre la perte d’un temps qu’on n’a jamais eu.

N’est-ce pas troublant de vouloir tantôt
Tuer le temps et ne pas le perdre ?

Dans la cité des corps futiles
On s’occupe, on s’occupe...
Inventant toujours plus d’espoirs
Pour compenser nos craintes.

Que faire d’un espoir qui fuit une crainte ?

Je me consacrai donc à l’innérrance (3)
Allant aux seuils (4) de déserts insoupçonnés.
Faisant usage de mon errance consentie
J’entrevis la vacance d’une nature innée.

 

Serait-ce sous un ciel rude au soleil
Que la mélancolie apparaît plus attachante ?
Pourtant ce fut d’un autre côté de l’aurore
Que je rencontrai l’amante céleste.

Au diable les silences insipides,
J’ai souhaité des rages salubres
Et entendre l’attentat de sa danse
Rompre les soulagements opaques,
Exhumer les oublis négociés
Et saper les espoirs sans démesure.

Et puis, de ne plus rien comprendre,
J’ai gardé le fraîchissement dans mes yeux
Quand son corps se diffusa dans mes veines...

Au diable les silences insipides,
J’ai eu des rages salubres.

Devenu sensible aux amitiés,
J’essaie de me rendre disponible
En attendant que le temps me soit compté.

On me déposera en terre à l’abri des vents
Puis mon amante se chargera du charnier
Dans ma tombe à l’abri des regards.

Lama Shérab Namdreul
(hiver 1981 puis continué en hiver 2021)

 

Notes

(1) Cf. Carna : le nom de Carna est à rapprocher du radical indo-européen *ker- (« trancher, couper ») ce qui me permet de faire le lien avec le “kapala” qui, dans l'offrande des reliefs de la pratique de “Tcheu des cinq Dakinis”, est rempli de cinq humeurs et cinq viscères. Offrande de viscères qui étaient offerts à Carna.

(2) Un mix entre sombre et sobre.

(3) À ne pas confondre avec “inerrance”. Innérrance est le nom d’un programme initié en 1996 lors de méharée dans le désert de Mauritanie.

(4) Cf. Janus qui a pour parèdre Carna.

Les notes (1) et (4) ont été ajoutées après la composition de ce texte. Ce fut une agréable surprise de découvrir, au fil de mes récentes lectures, des correspondances entre les mythologies et mes intuitions de jeunesse. Par exemple la déesse Carna qui fait écho avec l'association des concepts de “chair, charité, charnière et charnier" que j'écrivis en 1981 et dont j'enseigne aujourd'hui la signification yogique. Je suis convaincu de l'effiscience d'une sphère imaginale et archétypale dont on a l'accès par la contemplation créatrice (Cf. La Rosaire de mots vajras). J’encourage les élèves du vajrayana à écrire leur texte et de faire de l’écriture un yoga de l’inspiration imaginale.  Lama Shérab Namdreul